Il est, dans la marche d’une nation, des sujets qui, lorsqu’ils sont agités, plutôt que d’être considérés comme oiseux, doivent être pris avec toute la mesure qui sied par tous les citoyens de quelque bord qu’il soit. C’est le cas du débat soulevé par l’initiative fort opportune à notre sens d’un député visant à faire rétablir la peine de mort au Sénégal.

Sans vouloir jouer au donneur de leçon, encore moins au sycophante, nous estimons pour notre part, en toute humilité, que le débat est mal posé ou du moins est mal soutenu aussi bien par les partisans que les pourfendeurs de la peine de mort.

En effet d’un côté, ses partisans arguent de la nécessité de faire baisser la criminalité, voyant ainsi une corrélation entre son application et la baisse de la criminalité, ce qui n’est pas avéré comme le soutiennent fort justement ses détracteurs. Ces derniers d’un autre côté excipent doctement de la nécessité de se conformer à la tendance actuelle sur le plan international, de respecter les droits humains mais aussi de ne pas opérer un recul démocratique. Il s’agit là d’un sophisme et le raisonnement pèche par la base puisqu’il nie purement et simplement la sacralité de la personne humaine. Cette argumentation spécieuse ne peut en effet prospérer puisqu’elle prétend protéger les droits d’un homme qui lui, sans l’ombre d’un scrupule et avec une froideur marmoréenne, a choisi de porter atteinte au droit le plus sacré d’un autre homme, le droit à la vie. Or, en fait de protection, il s’agit de « protéger tout l’homme et protéger les droits de tous les hommes » comme le proclamait savamment René CASSIN, l’une des figures les plus emblématiques de la lutte pour la promotion des droits humains et en même temps un des rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. C’est donc se fourvoyer dans une méprise totale que de soutenir, sous le fallacieux prétexte de respecter les droits humains, la pertinence de préserver la vie d’un individu qui lui, sans raison valable, a délibérément ôté celle d’un autre.

Personne ne peut nous convaincre que c’est faire preuve de justice que de préserver la vie de ce malotrus qui, juste pour s’approprier une moto, n’a rien trouvé de mieux que de poignarder mortellement son bienfaiteur qui l’avait pris en auto-stop et qui était par ailleurs l’espoir de toute une famille.
Il sera tout aussi difficile de nous convaincre qu’il est juste de préserver la vie de cette crapule qui, pour assouvir un désir sexuel, ne s’est pas gêné pour violer et assassiner sauvagement et lâchement une innocente jeune fille.
Non, nous sommes désolé, ces gens là ne méritent aucune commisération. Nous le disons à haute et intelligible voix, au risque de nous attirer les philippiques de ses contempteurs, nous sommes pour l’application de la peine de mort.

Qui plus est, notre modeste expérience de plus de quinze ans de gestion d’établissements pénitentiaires notamment les deux plus grands du pays à savoir la Maison d’arrêt de Rebeuss et le Camp pénal de Liberté 6 et par conséquent de contact avec certains criminels dont le comportement en prison, loin de laisser entrevoir un quelconque remords, augure d’une récidive quasi certaine à leur libération, a fini de nous convaincre que l’emprisonnement, même à perpétuité, ne constitue pas la solution face à ce fléau.

Nous vient d’ailleurs à l’esprit le passage du célèbre roman de Margaret Mitchell ‘’Autant en emporte le vent’’ :« Toute société secrète des impuretés en quantité variable. Tant que la cote d’alerte n’est pas atteinte, on peut tolérer que ces micro-organismes, aussi répugnants soient-ils, mènent une existence obscure au fond de leurs terriers malodorants. Néanmoins, il existe une limite au-delà de laquelle la société se doit de réagir. Lorsque ces lichens malfaisants ont tendance à prendre racine, et même à donner des rameaux plus vigoureux, alors le moment est venu d’arracher les racines, d’extirper le mal ».
Il en est ainsi de l’organisme qui peut tolérer certains microbes jusqu’au jour où, ceux-ci étant devenus trop agressifs, il les détruit d’un jet d’anticorps.

Aux uns et aux autres, partisans comme adversaires de la peine de mort, il y a lieu de rappeler qu’il ne s’agit ici ni de faire baisser automatiquement la criminalité par l’application de la peine de mort, ni de défendre l’indéfendable en soutenant son abolition, mais il est plutôt question de défendre la sacralité de la vie humaine. René Cassin disait d’ailleurs, s’agissant de l’exigence de respect des droits humains : « il s’agit de dresser face à la souveraineté de l’Etat, la seule souveraineté qui vaille, celle de la dignité de l’homme ». Nous voulons reprendre cette assertion à notre compte pour dire qu’il s’agit, par l’effet dissuasif de la peine de mort, de dresser face à la barbarie humaine, la seule exigence qui vaille, celle de la sacralité de la vie humaine. Il nous parait en effet utile de suspendre une sorte d’épée de Damoclès au dessus de la tête des hommes, ceci d’autant plus que chacune des actions de l’homme est généralement le résultat d’un calcul entre les pertes et les profits qu’il peut en tirer. Un adage arabe le traduit si bien au demeurant : « Ta cravache, mets la à portée de vue de ton enfant ». Un adage français l’exprime aussi : « Qui aime bien châtie bien ». Enfin un autre adage bien de chez nous dit : « xale xamul Yalla waayé xam na yar ».

A ceux qui prétendent que tuer le criminel revient à faire deux morts plutôt qu’un, il faut rétorquer que le tuer c’est plutôt protéger plusieurs autres potentielles victimes.
A ceux qui avancent l’argument du recul démocratique, il y a lieu de rappeler que la démocratie c’est le règne dela majorité. Or, c’est un secret de polichinelle que de dire que si cette question avait été, non pas soumise au vote des députés mais posée directement aux sénégalais à travers un référendum, ces derniers se prononceraient dans leur écrasante majorité en faveur de l’application de la peine de mort comme le soulignait avec raison le député Imam Mbaye NIANG.

En somme, nous pensons qu’il faut à la fois rétablir la peine de mort et s’attaquer aux causes profondes de la criminalité. Car contrairement à une idée largement répandue, ce n’est ni au niveau de la pauvreté, ni à celui de la richesse que se situe la criminalité. On la trouve là où n’existent pas les qualités de vie nécessaires pour faire exister une personne humaine. Et cela réside dans la capacité d’écoute des autres, ensuite dans l’éducation et enfin dans la justice sociale. A partir du moment où un homme est révélé à lui-même par l’écoute, le respect, l’estime, son attitude envers les autres change. De même un homme éduqué et instruit est un citoyen conscient et utile à la société comme l’exprime cette pensée wolof : « xam-xam rék moo woor, ku xam meune, ku meune am, ku am faj sa soxla ». S’agissant des inégalités sociales, on se rend compte de jour en jour de l’abime profond qui sépare ceux qui n’ont rien et ceux qui ont tout : d’un côté la solitude, l’impossibilité de se faire entendre, d’être reconnu comme personne humaine ; de l’autre, tous les moyens pour s’imposer, faire taire, se donner raison.

Pour ne pas laisser la criminalité s’installer dans la société et prendre ses aises comme une tumeur dans le corps d’un malade, il importe en définitive d’éduquer les citoyens, de promouvoir la justice sociale mais surtout de rétablir la peine de mort.

Ce n’est ni plus ni moins qu’une question de justice et de bon sens que d’appliquer la peine de mort à ceux qui la méritent, et qui auront été reconnus coupables de façon absolument cettaine. C’est là une règle de civilisation qui se suffit à elle-même et qui n’appelle pas d’autres justifications.
C’est, au demeurant, tout le sens des recommandations que Notre Seigneur Tout Miséricordieux nous a faites dans son noble et immuable Coran :
« Ô les croyants! On vous a prescrit le talion au sujet des tués : homme libre pour homme libre, esclave pour esclave, femme pour femme. Mais celui à qui son frère aura pardonné en quelque façon doit faire face à une requête convenable et doit payer des dommages de bonne grâce. Ceci est un allégement de la part de votre Seigneur et une miséricorde. Donc, quiconque après cela transgresse, aura un châtiment douloureux ». Sourate 2 La Vache, verset 178.
« C’est dans le talion que vous aurez la préservation de la vie, ô vous doués d’intelligence, ainsi atteindrez-vous la piété. » Sourate 2, verset 179.
« Et Nous y avons prescrit pour eux vie pour vie, oeil pour oeil, nez pour nez, oreille pour oreille, dent pour dent. Les blessures tombent sous la loi du talion. Après, quiconque y renonce par charité, cela lui vaudra une expiation. Et ceux qui ne jugent pas d’après ce qu’Allah a fait descendre, ceux-là sont des injustes. » Sourate 5, verset 45.
Il est vrai que depuis que le débat est agité ceux qui veulent s’appuyer sur l’argument religieux sont obligés de raser les murs pour s’éviter les foudres des bien pensants pour qui, c’est un débat de société qui ne concerne nullement la religion. La pensée unique occidentale est passée par là. Dès que vous voulez justifier l’application de la peine de mort par la religion, l’on vous oppose des arguments liés à la laïcité de notre République ou à l’imperfection de notre justice, arguments que j’estime du reste bien fondés. Certains vont jusqu’à dire que l’écrasante majorité des sénégalais qui sont de confession musulmane ne seraient pas favorables à l’application de la Charia, avalisant ainsi cette idée à tort défendue par les occidentaux, qui veut que la Charia ne soit pas compatible avec la civilisation, ce qui est archifaux. Je le répète à haute et intelligible voix, le musulman que je suis ou que j’aspire être, est profondément convaincu que tout ce qu’Allah a décrété est meilleur pour lui. Dès lors je ne serais nullement gêné que la Charia soit appliquée au Sénégal quitte à être moi-même la première victime de cette application stricte parce que pauvre pécheur devant l’éternel. Que l’on me comprenne bien, il ne s’agit pas non plus de vouer aux gémonies ceux qui sont contre son application. Ils ont leurs raisons et je les respecte. Comme l’a dit quelqu’un à juste raison : «Dans ce débat et dans tous les autres impliquant une part de religion, il y a deux extrêmes à combattre. La première et la plus dangereuse est du fait de certains religieux qui excommunient et takfirisent à volonté car il n’y a aucun tribunal islamique qui peut attester de la sortie de l’Islam. La seconde est ce que j’appelle les extrémistes laïcs qui dénigrent et insultent même toute personne qui apporte des arguments religieux dans un débat ».
Mon propos est surtout de dire qu’il n’y a aucune honte pour le musulman à invoquer l’argument de la religion pour défendre la peine de mort. Surtout qu’en réalité même sans l’argument religieux, l’application de la peine de mort à celui qui tue volontairement n’est rien d’autre qu’une question de justice et de bon sens car le meurtrier ne mérite pas plus de vivre que sa victime.

Mohamed Lamine DIOP
Inspecteur de l’Administration pénitentiaire, Mai 2013.